mercredi 31 décembre 2014

Mon métier aidant, j'ouvre des bouteilles presque tous les jours. Et j'ai bien utilisé le pluriel. Des bouteilles. Découverte de nouveaux vignerons, tournées en restauration, vérification de qualité sur de nouveaux lots. Et, à l'occasion, plus qu'à l'occasion, même, pour le simple plaisir. Un verre à l'apéro ou en mangeant, un verre tout seul, pour rien, pour tout.

J'ai la chance de travailler avec 70 vignerons de haut niveau. Et, au hasard, d'ouvrir un certain moment une quille qui laisse bouche bée.

C'est arrivé hier soir.

La belle famille se pointait pour une fondue chinoise; ils aiment bien boire un verre de vin, sans trop s'y attarder ni s'y intéresser. Après quelques jours secs - pause après Noël et début d'une phase d'entraînement en vue d'un demi-marathon -, l'envie d'ouvrir quelque chose de bien me saisit. Je vais farfouiller dans la cave, pas envie de pinot mais tout de même de fluidité, je vois une Boutifolle 2009 du Clos Cristal, je suis tenté mais un peu trop dense. J'apreçois enfin une Extrême 2008 des Clos Perdus en Corbières, du plus que sympathique duo Paul Old et Hugo Stewart. Une quille splendide à l'arrivée il y a 3 ans mais encore un peu sauvage, bourrue, et devant dégérer son élevage.

Je me disais au départ que le vin serait sûrement trop puissant pour ce pot-pourri de saveurs terre-mer. J'ai songé à leur cuvée Mire la Mer, mais le mourvèdre est encore plus robuste que les lledoner pelut et syrah du terroir schisteux, pentu, en altitude de l'Extrême. Bon, ouvre, Ducond, on verra.

Pop le bouchon. Déjà le parfum est magnifique, très ouvert avant même de servir dans les coupes. Je me sers. Un amalgame de ronces, sauge, framboise, caillou chauffé de soleil, argile. Aucune rusticité, aucun réduit, aucun bois apparent, un bouquet fondu et complexe où le furit primaire est encore présent mais où point un léger mûrissement sur l'écorce d'orange et la boîte à cigare, en filigrane. Les yeux m'écarquillent, je m'attends à une jolie bouche, mais vu la densité de la robe toujours jeune j'appréhende un peu de dureté. Et en bouche, wow! nenni. Une soie brute, douce mais avec du relief, bourrée d'épices douces et de fleurs séchées. Avec l'équilibre si naturel des grands vins, sans aspérité : adjonction fruit-alcool-tanin-acidité-texture, une belle gande route ininterrompue, la montée d'un col des Pyrénées.

Du grand jus. Point à la ligne. Ces deux gaillards sont des vignerons hors pair.

Hâte de me siffler un Prioundo 2012, goûté au domaine en février dernier. Un petit Rayas, et je pèse mes mots.

Merci Hugo et Paul. Belle fin d'année.

vendredi 19 septembre 2014

Profession de foi(e)

Je l'avoue, je manque de temps. J'ai eu , il y a plusieurs années, l'envie de coucher sur papier virtuel mes humeurs viticoles, mes réflexions, mes interrogations, mes rencontres et mes coups de coeur. Entretemps ma fille que j'aime tant est née (elle écoute Dora dans le salon), mon entreprise m'a accaparé, ma conjointe a eu des ennuis de santé (ça va bien maintenant). Le vin va bien aussi, mais les plans d'écriture ont pris le bord...
Mais j'y songe plusieurs fois par semaine. Ceux qui reçoivent mes envois groupés savent que j'apprécie partager mon enthousiasme face au travail de nos infatigables vignerons artisans. Que j'ai certains parti-pris envers l'intégrité d'un travail propre, du respect de la nature et du naturel. Pas de vins gonflés aux stéroïdes, maquillés en cave. Que de la beauté pure.
Ce parcours a été initié il y a 28 ans par une gorgée de Corton-Charlemagne 1983, le premier vin de haut vol que j'aie goûté. Une émotion, voire une surprise, que je n'oublierai jamais. Mes parents ne buvaient pas de vin. Peut-être un petit verre de Cinzano rouge sur glace à Noël. Je ne pouvais croire que du vin pouvait être aussi bon, aussi complexe, aussi long. J'ai eu la piqûre. Mes études en ont pâti, mon mémoire de maîtrise en a été laissé inachevé. J'ai lu, j'ai bu, j'ai acheté, j'ai dégusté. Et encore et encore. J'ai travaillé en restauration pour payer mes études, et bientôt pour financer ma passion et mes voyages. Après un certain temps, j'ai dû me rendre à l'évidence, le vin avait gagné.
En revenant d'un voyage initiatique en vélo en France et en Italie, je cogne naïvement à la porte d'un nouveau resto sur le Boulevard St-Laurent, près du défunt Lux. Je rencontre un sympathique type un peu rondelet qui me dit qu'ils viennent tout juste d'ouvrir et que des changements sont possibles à la brigade. Je reçois un appel quelques jours plus tard. La grande aventure débuta. Je venais d'atterrir au Citrus. Le sympathique type en question était Claude Beausoleil, restaurateur visionnaire. Le chef Normand Laprise, pas besoin de le présenter. Le sous-chef a été Martin Picard, pas besoin de le présenter. Je faisais d'ors et déjà partie, sans le savoir, du plus formidable creuset du goût à Montréal, j'oserais dire du Canada.
Claude Beausoleil est un homme d'une générosité rare. Prêt à tout donner à ceux en qui il croit. Le samedi soir, si le service s'était bien déroulé, il allait chercher de belles quilles dans la cave que nous analysions et discutions ensemble. Et, par esprit de défi, ludique, il nous proposa de goûter à l'aveugle. Et si, hypothétiquement, quelqu'un parvenait à découvrir ce qui se cachait dans la carafe, il lui en donnerait une bouteille. Je suis donc reparti tard, incrédule, deux bouteilles sous les bras. Incrédule mais fébrile. 2 en 2. 1000 de moyenne au bâton. Le petit jeune de 22 ans avait correctement identifié à l'aveugle les 2 quilles proposées. Pour la petite histoire, Mas de Daumas Gassac et Prieuré St-Jean de Bébian 1985. Du joli jus, en plus.
Le mardi matin suivant j'étais convoqué au bureau de mon patron. Qui m' a dit en substance qu'à son avis j' avais un don et que je me devais de le développer, et que dans quelques semaines ou mois je serais promu sommelier-maître d'hôtel. Moi, le  petit cul sans réelle expérience, qui n'avait encore jamais goûté de foie gras.
Ma mère cuisine très mal. Pardon de l'affirmer aussi sèchement, maman. Mais de toute façon tu le sais. Te nourrir est une obligation, cuisiner un calvaire. Alors je me demande parfois d'où me vient cette passion pour le goût, les odeurs, les textures, la diversité, la différence, l'étonnement. Je me souviens tout de même être fasciné par l'odeur des fleurs de poirier et de pommier, au printemps, dans notre petit jardin de banlieue, et du premier vrai sandwich, avec du vrai pain, du vrai jambon, du vrai cheddar vieilli, de la vraie moutarde de Meaux chez mon copain Maxime à l'adolescence, dont les parents gastronomes ne se gênaient pas pour faire des kilomètres pour trouver les bons produits, rares à l'époque. Peut-être sont-ce là les prémisces du goût. Je ne sais. Tout ce dont je suis certain est que celui-ci s'est développé à grande vitesse au Citrus, entouré des meilleurs talents, et des meilleurs produits. J'ai goûté à Yquem, à la Romanée-Conti, à Margaux, à Opus One, à Grange, et tutti quanti. J'ai vu cuisiner Normand, Martin. J'ai vu un jeune homme débuter en cuisine qui s'appelle Jean-Philippe Lefebvre et qui allait au fil du temps devenir le Rézin et changer la face du vin au Québec. Et je pèse mes mots.
Le parcours a suivi son chemin. Le Citrus est malheureusement mort de la générosité de Claude Beausoleil, qui dépensait plus qu'il ne récoltait. Je suis reparti en voyage - Californie, France encore. Et me suis rendu compte que le véritable apprentissage se fait auprès des vignerons. De retour, je ne le savais pas, mais un nouveau projet m'attendait. Une amie de ma soeur, Danielle Matte, avait acheté un resto sans jamais avoir bossé en salle ni en cuisine. À sa première soirée de service, elle a fait sauter un bouchon de Champagne dans l'oeil d'une cliente. Mais ce magnifique resto Provençal s'appelait le Club des Pins, le chef en cuisine Martin Picard. Toute ma vie je me souviendrai du jarret d'agneau confit aux lentilles et tomates de notre truculent gourmand du Pied de Cochon. J'ai essayé de mettre un peu de rigueur dans le service, et ai décidé de concentrer la carte des vins au sud de la France. J'au donc découvert Olivier Jullien (un génie), assisté aux états d'âme d'Éloi Durrbach (Trévallon) et de sa sortie fracassante des AOC, vu l'émergence d'une nouvelle (!?) forme de viticulture, bio celle-ci. Le choc de me rendre compte que le respect de la nature n'était le fait que d'une infime minorité de vignerons irréductibles, et que le matraquage des vignes de multiples composés chimiques résiduels, couplé à des vinifications à grands renforts d'enzymes, levures, tannins, correcteurs d'acidité et autres stablilisateurs, était la norme plutôt que la marge... Un choc qui me révolte toujours, plus de 20 ans plus tard. Moi qui fus le premier de mon quartier à aller réquisitionner un bac vert (à cette époque reculée, il y a plus de 26 ans) à mon arrondissement...
Ainsi va la vie.
Le prochain choc fut un autre moment fondateur, voire une épiphanie. Ayant fait le tour de la question au Club des Pins, à la veille d'être vendu, d'ailleurs, j'eus vent d'une ouverture chez Laloux, bistro ultra-qualitatif qui était tombé un peu en désuétude après les premières années folles sous la gouverne de Philippe Laloux. Un cadre magnifique, un chef encyclopédique, mais une brigade salle pas vraiment à la hauteur... J'ai rencontré Jean Duval, lui ai fait part de ma vision et de mes pistes de solution : une carte des vins résolument tournée vers l'importation privée, le bio et le vigneron artisan, qualitative et prolixe. Avec la promesse de hausser les ventes de vin par tête de pipe de plus de 15%, et le chiffre d'affaires de plus de 10$ par an. Pari que nous avons tenu, et surpassé, pendant près de six ans.
Et par une belle matinée je rencontre Jean-Philippe Lefebvre, l'inénarrable Rézin, dans l'escalier menant à l'appartement de Danielle Matte, sa conjointe de l'époque. Il revenait d'un voyage en Europe, et avait un colis dans son grand sac - il y a plus d'un tour aussi... Content de te voir, mer dit-il, j'attends Danielle. Moi aussi, rétorquai-je. Tant mieux, on va goûter à quelque chose. J'ai fait  des rencontres extraordinaires en France et j'aimerais te les présenter. Je ne sais pas trop quoi faire avec ça. Débouchonne, fis-je.
Totalement à l'aveugle, dehours, assis dans les marches. Du jus superbe, dense mais frais, épicé et complexe mais merveilleusement digeste. J'étais un peu soufflé, pris entre deux chaises (marches...), entre la buvabilité du gamay et la trame aromatique de la syrah, avec des textures que je ne connaissais pas. J'ai adoré.
Bouteille n° 1 : Morgon Côte du Py 1994, Foillard.
Bouteille n° 2 : Fleurie 1994, Métras.
Du vin 100% nature, sans aucun sulfite rajouté, sans aucun additif durant la vinification. Nous étions en 1995. Les premiers balbutiements de ce retour à la vérité du vin.
Ça t'intéresserait, me demande le Rézin ?
Tu parles. Tu peux en avoir combien ?
10 - 15 caisses.
Vendu, ça rentre dans la cave chez Laloux.
Et voilà, c'est ainsi que l'aventure du vin nature au Québec est née.
2 ans plus tard il y avait plus de 400 références sur la carte, un resto plein tous les soirs, 95 % d'importations privées, 75 % de bio, nombre de vins nature. Une équipe du tonnerre.
Jean Duval a eu l'idée en 2000 de publier un magazine sur le vin, sur le Web, qui inciterait au tourisme vinicole, financé par Star Alliance. Nous fûmes 3 à sillonner le globe pour peaufiner ce projet.
Et le 11 septembre 2001 eut lieu. Les compagnies aériennes, et le monde entier, dut absorber le choc. Évidemment le projet mourut dans l'oeuf, faute de financement.
Gilles Martin du Maître de Chai me proposa de me joindre à lui. Je suis devenu dès lors pusher de vin. L'aventure dure depuis 13 ans.

Long préambule à cette profession de foi(e). Préambule nécessaire, qui explique et illustre le parcours qui mène à l'identité d'un portefeuille de vignerons.

Professions de foi(e) ?

J'aime les vins vrais, naturels (même si on a vu récemment en France un bistrotier se faire refuser l'usage de cette appellation sur son ardoise...), respectueux du terroir et du fruit. J'aime les vins à personnalité forte et affirmer, les vins qui ont le respect de leur terroir et 'a sense of place' comme le disent si bien les anglo-saxons. Somewhereness, le nom d'un regroupement de certains vignerons. In pursuit of Balance, le nom d'un autre regroupement de vignerons.
Je n'aime pas les vins trop concentrés, trop boisés, trop travaillés. Je n'aime pas les vins qui saturent, qui n'étanchent pas la soif.
J'aime la diversité, l'originalité, l'expression des sols et des parcelles.
Je crois que le vin se fait surtout à la vigne, peu en cave.
Je n'aime pas l'uniformisation des styles, l'internationalisation du goût.
Je veux goûter un vin différent tous les soirs, qui me plaît, me sustente, me surprend, me donne soif et faim, me fait sourire.
J'aime qu'un vin ne me donne pas mal au bloc.
J'aime le vin blanc, si diversifié - arômes, maturités, sucrosités, textures, acidités.
J'aime le vin rouge, si réjouissant - du plus fluet poulsard au plus coloré malbec.
J'aime le vin rosé - Sancerre, Corse, Azay-le-Rideau, Ramato (même si ce n'est pas vraiemnt du rosé  - faites vos recherches), name it.
J'aime le vin orange - ce qui se rapproche peut-être le plus de ce que nos ancêtres ont goûté.

J'aime le vin.

Mais donnez-moi du vin. Pas une boisson alcoolisée.

Du vin avec l'histoire d'une année inscrite dans ses gênes, l'histoire d'un(e) vigneron(ne) et de sa patte, l'histoire d'un terroir.

Le sang de la terre, on a dit.

Tu l'as dit, bouffi.